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Communiqué de presse du Café culturel et scientifique: "Mémoire des guerres mondiales: Que faut il retenir?

Tenu le mercredi 06 février 2019, au Centre d’admission, le deuxième rendez-vous du Café Culturel et scientifique de l’Université Centrale (C2S), a porté sur le thème : « Mémoires Maghrébines de guerres : Que retenir ? ». Ce rendez-vous a été animé par deux éminentes personnalités : Dr. Faysal Cherif, Historien spécialiste des histoires militaires et des histoires des armées, et pour discutant, Professeur Farhat Horchani, Directeur actuel de l’école Centrale de Droit et de Sciences Politiques et ex Ministre de la Défense Nationale. Ainsi les deux guerres mondiales étaient sujets de ce débat.

Au départ, Dr. Faysal Cherif a rappelé le public présent que la 1ère Guerre Mondiale (dite également Grande Guerre, ou Guerre 14/18) n’a pas eu lieu en Tunisie. Pourtant, elle a fait participer de nombreux Tunisiens de l’ordre de 86.000 entre mobilisés, engagés et travailleurs. Le nombre des victimes tunisiennes s’élèverait à 10.860, Ils furent enterrés pour la plupart en France, sauf un petit carré ici au cimetière français de Gamarth. Par la suite, Les 4 ème et le 8 ème Régiment de Tirailleurs Tunisiens étaient les plus décorés, et ont prit part au défilé de la victoire aux Champs Elysées en 1919. A Verdun, nombreux sont les Tunisiens qui sont enterrés dans un carré musulman avec leurs confrères algériens et marocains et sénégalais.

Pour mieux nous introduire le sujet, l’intervenant nous a présenté un film documentaire très rare tourné en 1914, montrant la cérémonie du tirage au sort, destinée à choisir les candidats partant pour la guerre.

En effet, la scène se présentait, paradoxalement, comme une sorte de fête nationale, avec un défilé d’hommes en tenues traditionnelles, hissant des drapeaux et scandant des chants, alors que leur sort était connu d’avance. Malheureusement, il y avait une sorte de favoritisme dans cette pratique, puisqu’en général, les plus riches payaient de l’argent, collectée dans une sorte de caisse et faisaient partir les pauvres à leurs places.

C’est autant dire que la Guerre est faite par les pauvres, et la propagande a beaucoup joué à l’époque par une mise en scène en faveur de cette mobilisation qui était présentée comme un acte de courage et de bravoure ; en Métropole la réalité était toute autre !

 


 

Cette guerre a fait un bilan très lourd : plus de 10.860 morts Tunisiens, qui constituaient l’un des régiments les plus glorieux et les plus importants, puisqu’ils étaient plus mobilisés déjà que leurs voisins algériens. Dans un second épisode de la conférence, l’intervenant a mis l’accent sur la Seconde Guerre mondiale, en se basant sur son livre issu d’une recherche académique, dont le titre est “La Tunisie dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale 1938-1943 ” éditions du Centre de Presse Universitaire, 2014, 542 pages. A l’origine, ce livre est sa thèse soutenue en 2001 à l’Université de Paris IV Sorbonne et publiée dans ce volume impressionnant.

 

Notons ainsi que l’évènement le plus marquant de cette guerre était celui du 9 Avril 1938, témoignant le début d’une lutte de libération contre le protectorat français. L’autre évènement, non moins important, et qui a entrainé une confusion totale auprès des généraux Français, et auprès du peuple tunisien, est le débarquement des forces anglo-américain en Tunisie le 8 novembre 1942. La France de Vichy ayant déjà signé un armistice le 24 juin 1940, la Tunisie fut mise sous le gouvernement d’un résident Général de l’amiral Estéva, un militaire pour tout dire, ce qui constitue une première dans l’histoire de la colonisation de la Tunisie.

Attitude des Tunisiens face aux Allemands

Selon Dr. Cherif, pour ce qui est de la collaboration des Tunisiens avec les Allemands, les avis divergeaient. Le contexte était très spécial, car le gouvernement de Vichy a tout fait pour étouffer l’expression nationaliste. Bourguiba et les ses 19 collègues du parti du Néo-Destour étaient sous les verrous et déportés en France à bord d’un torpilleur en mai 1940.

Habib Bourguiba, leader du parti, alors qu’il était en prison à Marseille, pensait profondément qu’il ne fallait pas collaborer avec les Allemands, même si après son transfert à Rome le 8 janvier 1943, il a tout fait pour éviter toute déclaration compromettante. Même avec la pression du Chef de Cabinet du Ministre des Affaires Etrangères italien Mellini, Bourguiba évita de donner toute déclaration en faveur de l’Axe. En véritable visionnaire et stratège, parfaitement instruit et éclairé grâce à ses études de Droit et de Sciences Politiques à la Sorbonne, il avait su déjouer toute manipulation des autorités italiennes. Car même avec son discours à Radio Bari le 6 avril 1943, il était resté platonique et ne donna aucun signe d’alliance tant recherché par le régime italien fasciste. Il ne s’est pas servi de l’argument combien opportuniste « L’ennemi de mon ennemi est mon ami ».

Quant aux accusations portées au souverain Moncef Bey, à tort, sur une probable collaboration avec les Allemands, elles ne collaient pas non plus, car elles ne se basent sur aucune preuve tangible. C’était probablement un prétexte pour finir par l’écarter du pouvoir un Bey trop populaire qui a su générer une dynamique politique toute la nouvelle durant le court épisode de son règne (19 juin 1942-13 mai 1943). Sachant que Moncef Bey était le Bey le plus aimé et le proche de son peuple. Il était le seul à avoir refusé d’être enterré à Torbet El BEY, comme ses prédécesseurs, et a ordonné à ce que ce soit fait au Jellaz, pour rester proche de son peuple. Il a aboli le baise-main, se promené en ville sans escorte, ouvrait le jeudi son palais aux plus indigents…

L’intervenant a ajouté qu’à la même période, beaucoup d’autres Tunisiens, étaient considérés comme germanophiles. Ils voyaient les allemands, se comportant de manière civique et respectueuse des traditions tunisiennes et musulmanes, comme de véritables libérateurs, venant les débarrasser du colonisant oppressif français. Pour en témoigner, André Gide dans son journal en parle longuement de la vie quotidienne en Tunisie pendant la guerre. D’ailleurs beaucoup de Tunisiens ont été jugés puis exécutés pour avoir collaboré avec l’axe.

Lors de cette conférence, le public présent n’a pas hésité à participer au débat. Ainsi, par rapport à la question de Professeur Hamadi Bouabid, quant à l’adhésion ou non des Juifs tunisiens à la guerre et pourquoi furent-ils exemptés ? Une autre sur l’adhésion des Tunisiens au Nazisme Allemand. Le conférencier a qualifié l’adhésion au mouvement de non majoritaire, représentant une sorte d’antisémitisme latent qui trouve ses origines plus dans les difficultés économiques du pays pendant cette période difficile de la guerre. Et comme ne cesse de le répéter l’histoire, et Léon Paliakov, fameux historien de confession juive, qui dit : « les Juifs n’ont jamais aussi si bien vécu qu’en terre d’Islam ». En Tunisie, Ils étaient même exemptés de participer à la guerre ; un privilège non négligeable par rapport au commun des Tunisiens.

Les rapports des Tunisiens avec les Italiens de Tunisie

D’après Dr. Cherif, les Français ont accusé les nationalistes tunisiens en 1938 de collaboration avec le régime fasciste la fameuse lettre « d’Anfunso ». Certes l’Italie a tout fait pour prêter main forte aux nationalistes tunisiens particulièrement par la voix de « Radio Bari » fondée en 1934 et qui diffusait en partie ses émissions en langue arabe. Dans le cadre de ses investigations aux archives italiennes, le conférencier dit avoir eu la chance, d’avoir entre ses mains deux manuscrits authentiques de Bourguiba adressés à Mellini chef de cabinet du ministre italien des Affaires Etrangères à Rome. Une copie a été ajoutée aux annexes de sa thèse soutenue en 2001.

Par contre, une bonne partie des Tunisiens, avait un regard malveillant par rapport aux Italiens et aux ambitions mussoliniennes à l’égard de la Tunisie. Faysal CHERIF s’est longuement attardé sur l’évolution démographique de la colonie italienne en Tunisie, qui était numériquement la plus nombreuse.

En effet, en 1953, le mouvement migratoire de ces derniers vers la Tunisie était intense, les Italiens de Sicile venaient en radeaux vers la Tunisie pour fuir une situation économique et naturelle des plus catastrophiques. L’immigration italienne en Tunisie date du milieu du XIXème siècle. La première donnée statistique remonte à 1911, sur une population totale de 1.5 millions de Tunisiens musulmans, il y avait 88.000 italiens ! A la Goulette, s’est formé tout un quartier propre aux émigrés Italiens, nommé « La petite Sicile », existant encore jusqu’à nos jours.

Une bonne part de la communauté Italienne, soit environ 4000 Italiens, s’est installée à Grombalia, en parfait enchevêtrement avec la communauté française sur les lieux. Les Italiens ont permis de propager leurs traditions économiques et socio-culturelles ; par le développement de plusieurs cultures telles que celle de la vigne …Mais également, sur le plan culturel et linguistique, on peut remarquer que beaucoup de mots du jargon Tunisien, sont issus de la langue Italienne. Prenez l’exemple disait-il des noms attribués aux poissons : scombri, trilia, sardina, wrata, nazali, etc…

Les Siciliens de leurs côtés, parallèlement, ont repris de nos traditions comme la culture de la pêche et les méthodes de conservation du thon. Un mouvement d’émigration économique intense et que la France a voulu les soustraire à leurs nationalités en promulguant en 1923 la loi sur la naturalisation.

Les cimetières, exemple de traces de la Seconde Guerre mondiale

Dr. Faycel Cherif a confirmé que les traces de la Seconde Guerre mondiale sont encore visibles aujourd’hui, dans plusieurs endroits de la Tunisie. Rien que par les cimetières des différentes communautés, ayant embarqué sur le sol tunisien, comme par exemple le cimetière américain à Carthage, qui était le seul à avoir regroupé tous ses morts dans un même endroit, et qui possède la plus belle et unique mosaïque romano-africaine en couleurs de Neptune, dieu de la mer. Contrairement aux cimetières français et britanniques, essaimés un peu partout comme celui de Gammarth, ou de Bizerte.

Notons que le livre “Histoire de l’Armée tunisienne de l’indépendance : la genèse 1956-1960", qui est également sujet de débat, parle de l’institution tunisienne militaire, appelée communément « La grande muette », qui contrairement à beaucoup d’autres armées dans le monde, ne s’est jamais introduite dans le domaine politique. Monsieur Farhat Horchani a tenu à parler de ce deuxième livre du docteur Faysal CHERIF, car il l’a reçu le lendemain de sa publication alors qu’il était ministre de la Défense.

Nous aurons peut-être un retour à ce livre, et à l’histoire de l’armée tunisienne et son crédo hautement républicain dans une prochaine conférence.

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